C’est parfois compliqué d’être une femme. Il faut rire des plaisanteries des hommes (j’ai fait de la radio commerciale, j’en ai ri des maudites blagues plates d’animateurs misogynes), si on rit trop on est conne, si on ne rit pas on manque d’humour. Et, si on fait soi-même des petites blagounettes, c’est parce qu’on est insécure. Ouf !
Avec cela en tête, après le débat présidentiel, j’ai commencé à suivre les conversations sur X qui discutaient des performances de Harris ou Trump. On reproche beaucoup à Kamala Harris son rire, d’avoir un visage expressif et on remet en question ses accomplissements professionnels, voire ses études. Comment le fait-on? En essayant de prouver qu’elle a « coucher », fait des fellations, etc., pour accéder à sa place de vice-première ministre. On pourrait rire, mais les vieilles blagues de mononcles, on s’en lasse.
En preuve, on produit des photos créées de toutes pièces où on la voit porter des vêtements sexys littéralement sur « le trottoir »1. Qu’il soit extrêmement facile de démontrer que ces photos sont fausses importe peu à ceux qui les font circuler : ce sont vraisemblablement pour eux que des illustrations, presque de reconstitutions de ce qu’ils veulent comme vérité.
Quant à ses idées, on lui en a fabriqué quelques-unes comme ces histoires incohérentes et impossibles d’avortement après la naissance de l’enfant… La même chose peut être dite de cette carte d’adhésion à un parti marxiste en Russie (voir la vérification des faits par Snopes). Ceux qui republient à l’infini ces fabrications vous le crieront en majuscules, il ne s’agit pas pour eux de SEXISME, mais bien de dire la VÉRITÉ et de ne pas tomber dans le piège des merdias. Et pourtant…
Vous m’excuserez, mais le prochain segment ne sera pas drôle, je ne pense pas pouvoir faire des petites blagues, j’ai plus envie d’inventer de nouveaux gros mots pour exprimer toute mon écœurite aiguë. Je manque d’humour, comme on dit.
Les mécanismes sociaux des agressions sexistes en ligne
Ah, les fausses équivalences : dire que Trump a les cheveux ou le visage d’une teinte orangée, fait rigoler ceux qui ne l’aiment pas, mais c’est très différent que d’affirmer qu’une femme s’est prostituée pour avoir un poste de pouvoir. Cela correspond à un premier mécanisme sexiste : utiliser des comportements d’agression pour renforcer des stéréotypes sexistes. Les autrices de l’article «Sexists slurs…2» notent que ce renforcement des normes de genre est aussi utilisé trois à quatre fois plus souvent pour attaquer des femmes et des personnes LGBTIA+.
Le message est clair les filles : rentrez dans le rang et défendez les stéréotypes de genre.
L’autre mécanisme joue sur le statut social. Maintenir un certain statut public confère un pouvoir dans les interactions humaines. Or, lorsqu’on dit que Kamala Harris a fréquenté un homme important plus âgé pour obtenir des privilèges, on insinue en fait qu’elle a volé son pouvoir aux hommes qu’elle a fréquentés. Ce type d’agression sur les réseaux sociaux et plus spécifiquement sur X-Twitter est souvent fait par des individus qui prétendent « corriger nos perceptions » à l’égard d’une femme politique.
Selon Felmee et coll., les personnes, hommes ou femmes, qui commettent ces attaques, cherchent très souvent à bénéficier eux-mêmes d’une plus grande estime sociale. Le sexisme et le harcèlement ne sont pas pas banals, ce sont plutôt des stratégies, disent encore les autrices, qui visent à maintenir les iniquités de genre.
Identifying a woman as a “whore” or “slut” means that she falls far out of line with the norm of sexual inexperience. Labelling a woman a “cunt,” on the other hand—one of the most hateful words in the English language according to one urban dictionary—implies that she has absolutely no redeeming features, feminine or otherwise.
Salutations, je vais aller ma faire une tisane et travailler sur mon dictionnaire des blasphèmes combinés pour un maximum de défoulement ;-)
Extraits traduits de l’article : Le 9 août, l'avocat Irakli Zakareishvili et le membre du mouvement Mission géorgienne Ramaz Gagnidze ont publié des images de la vice-présidente sortante des États-Unis et candidate à la présidence, Kamala Harris. Selon Zakareishvili, les images sont de vieilles photos de Harris, tandis que Gagnidze affirme que la candidate à la présidence américaine se distingue par « son talent et ses qualités LGBT ».
(…) Un certain nombre de signes indiquant une fabrication peuvent être vus sur le matériel visuel circulé. Selon la plateforme de vérification des faits, Logically Facts, la photo montrant Harris dans une robe violette est entièrement générée par l'intelligence artificielle, comme l'indiquent un certain nombre de détails.
Felmlee, D., Inara Rodis, P., & Zhang, A. (2020). Sexist Slurs : Reinforcing Feminine Stereotypes Online. Sex Roles, 83(1‑2), 16‑28. https://doi.org/10.1007/s11199-019-01095-z