« Craquer » le code de l’infolettre
Mettre en pratique le « product drop » de liens et de textes grâce à Substack
Dans les stratégies de médias numériques que j’ai vues jusqu’à maintenant (en 20 ans, j’en ai vu deux ou trois…) on souhaitait toujours trouver le meilleur moment pour s’adresser à un auditoire. On créait un rendez-vous, selon le profil démographique et les habitudes reconnues de notre cible. Même comme humble blogueuse, je pensais à republier mes billets sur les réseaux sociaux à des moments considérés opportuns pour mon lectorat. Des stars des médias sociaux expliquaient quand publier et où (le pourquoi est souvent plus flou…).
On consultait des données (souvent tirées de Google Analytics), puis on lisait des gourous. On ajustait ainsi le moment de diffusion initiale, les reprises et on contextualisait le tout par des mots-clés, selon les réseaux de diffusion.
Maintenant, si je lance une infolettre, elle ira directement dans la boite courriel de mes abonnés qui décideront quand la lire. Ensuite, je diffuserai des extraits sur mes réseaux sociaux pour appâter quelques lectrices ou lecteurs de plus.
J’ai donc une liste de convaincus et des consommateurs occasionnels (ou non convertis) qui sont plus nombreux en ce moment que mes abonnés.
Cela ressemble drôlement à la stratégie Web du « product drop » que les vendeurs de biens de consommation utilisent. Quand vous serez encore plus nombreux dans les abonnés, je pourrai peut-être même produire des contenus payants, donc rares et réservés à un groupe de privilégiés (ce qualificatif associé à des notions de temps et d’argent prend tout son sens).
Je ne suis ni une paire de baskets exclusives, ni un iPhone frais lancé. Pourtant.
Mon blogue était un lieu de réunion, on savait comment me trouver. Je ne collectionnais pas les adresses courriel de mon lectorat, je le suivais plutôt par le biais des données d’analyse de Google.
Évidemment, j’aurais pu préparer une infolettre associée à mon blogue pour faire ce que je fais ici. Mais fidèle à moi-même, je voulais voir ce que la nouveauté avait de si bien.
Si vous cherchez encore à quelle heure publier…
Hootsuite propose souvent des guides pratiques appuyés sur les données de leur application. Récemment (mais relativement, puisque la nouveauté est gage de vues) on trouvait ceci sur leur site :
Best Time to Post on Social Media (Is there a best time?)
Meta ouvre son API à des projets de recherche universitaire
C’est en lisant les nouvelles du MIT que j’ai appris que Meta ouvrait enfin un peu plus ses données aux personnes chercheuses du milieu universitaire. Il faut préciser que Facebook-Meta devait se reprendre après avoir coupé l’accès une équipe de recherche de NYU, disant que leurs pratiques de recherche avaient enfreint la vie privée des usagers du réseau.
On en parle moins, mais l’annonce de la suspension de Crowdtangle qui permettait de recueillir dans Facebook ou Instagram des données à des fins de recherche donnait mauvaise image à la compagnie. Crowdtangle est toujours en ligne et en service. Mais j’ai fait une demande il y a plus d’une année, qui avait été d’abord mise en suspend, puis plus rien.
Donc, il y a un nouveau protocole pour accéder à l’API et avoir accès à ce pactole de données sur nos comportements en ligne : il faut dorénavant poser une demande auprès du Consortium for Political and Social Research (ICPSR) at the University of Michigan (en suivant le lien plus haut vous pourrez trouver le document).
Sachez que ChatGPT reproduit des biais sexistes dans les lettres qu’iel rédige pour vous
Quand on craint les torts que les méga modèles de langage (LLL, large language models) peuvent causer en société, il suffit de regarder ce que nous faisons déjà. Les biais présents dans les bases de données sont ceux que nous reconnaissons dans nos systèmes. Peut-on pour autant débiaiser une base de données? Pas facile, dit la chercheuse Alex Hanna, parce qu’il faut d’abord pouvoir identifier clairement lesdits biais et ensuite créer un mécanisme pour les éliminer.
Dans l’article de Scientific American on donne en exemple ces idées reçues sur ce qui est masculin ou féminin :
While ChatGPT deployed nouns such as “expert” and “integrity” for men, it was more likely to call women a “beauty” or “delight.” Alpaca had similar problems: men were “listeners” and “thinkers,” while women had “grace” and “beauty.” Adjectives proved similarly polarized. Men were “respectful,” “reputable” and “authentic,” according to ChatGPT, while women were “stunning,” “warm” and “emotional.”
Bref, le progrès social ne viendra pas des agents conversationnels.
C-18 et l’information en bref
Patrick White et moi avons signé une lettre présentant quelques avenues à explorer pour sortir de la crise actuelle des médias. Ça ne réglera pas tout, mais il faut commencer à agir/réfléchir quelque part.
L’information devrait-elle un bien culturel?
Médias d’information et IA : avec quelles données entraîne-t-on les IA?
Les créateurs de contenus publics, dont font partie les médias d’information, commencent à en prendre la mesure : il faut beaucoup de textes bien écrits pour entraînter des modèles de langage comme ChatGPT. Et dans ces données facilement aspirables (une traduction approximative pour data scraping) se trouvent les données tirées des médias d’information, même si ces données sont protégées par des droits d’auteur.
Or, comme pour les premiers affrontements entre les médias d’information et les géants des sites de réseautage social, chacun fait ses petites ententes en catimini pour avoir sa part du gâteau (à lire sur CNN).
Comme les ententes secrètes entre les médias et Facebook ont été un succès (je suis sarcastique), pourquoi ne pas remettre ça?
La News Media Alliance qui regroupe quelque 2000 organismes médiatiques a publié un rapport intitulé : How the Pervasive Copying of Expressive Works to Train and Fuel Generative Artificial Intelligence Systems Is Copyright Infringement And Not a Fair Use (suivre le lien pour le télécharger à partir du site de la NMA).
Pourquoi l’information comme bien culturel?
Après la publication dans La Presse de la très courte de version de mon infolettre précédente, citée plus haut, on m’a demandé pourquoi je suggérais que l’information pourrait être vue comme un bien culturel.
D’abord, ce n’est pas au regard des lois actuelles que j’ai formulé cette proposition. J’ai plutôt été relire la définition de l’UNESCO qui se trouve presque textuellement reprise dans les lois du Québec et du Canada.
Biens de consommation qui véhiculent des idées, des valeurs symboliques et des manières de vivre, par exemple les livres, revues, produits multimédia, logiciels, enregistrements sonores, films, vidéos, programmes audiovisuels, produits de l’artisanat et design.
La dimension consommation est importante, mais le fait que ces biens puissent véhiculer des idées, des valeurs symboliques leur attribue un statut particulier. Sans avoir fait de longues études sur la question, je vais poser les balises de ce raisonnement.
D’abord, en réduisant l’information à une industrie qui doit galérer pour être profitable, on élude la mission qui devrait lui revenir. Ensuite, on soumet aussi le travail des journalistes à des modes, des caprices de direction (par exemple, tout faire en vidéo ou en format tiktokable) en essayant de maximiser les profits et en causant souvent un schisme entre les normes et principes des métiers de l’information et des pratiques profitables.
D’autre part, j’ai aussi été inspirée par des réflexions sur le marketing des biens culturels publiées en France. Dans un ouvrage intitulé Économie des arts et de la culture1, les auteurs Mairesse et Rochelandet s’appliquent à définir ce que sont les biens culturels et comment les situer dans l’échelle des besoins. Parce que dans un premier temps le besoin et l’usage qu’on fait d’un bien de consommation détermine la catégorie (primaire, secondaire ou tertiaire).
Les auteurs expliquent aussi que la catégorie dans laquelle on classe un bien correspond au modèle de financement qu’on lui appliquera. En ce moment, il faut préserver l’information de qualité et défendre la profession de journaliste. Il faut donc repenser la catégorie ou les catégories dans lesquelles on classera l’information.
Lorsque les acteurs de la production de l’information doivent tirer leur financement de la publicité et de subventions d’urgence leur stabilité est ébranlée. De plus, quand les subventions pour maintenir leurs activités (qui sont la production d’information mise en formes selon des normes et non pas la vente de publicité) sont attribuées à des compagnies (et non pas aux artisans qui produisent l’info) qui achètent des médias comme on achète des usines de boulons, soit pour le profit fait dans la transaction, il y a péril en la demeure.
L’information journalistique est en grande partie ouverte, le cas des modèles d’IA générative qui l’utilisent sans rien payer pour créer des modèles de langage lucratifs en est la plus récente preuve. Et comme pour les biens culturels, l’information ainsi aspirée pour différentes entreprises commerciales nuit au potentiel de financement de ce travail :
Pour autant, dans le cas des industries culturelles, le partage illégal de copies numériques, par exemple, s’il ne porte pas atteinte au « stock » existant des œuvres, peut générer une forme de tragédie intertemporelle des biens communs, en diminuant potentiellement les sources de financements des œuvres futures, donc en menaçant leur existence et leur diversité. Cet argument est communément mobilisé contre le partage illégal de fichiers protégés par le droit d’auteur (cf. chapitres 10 et 12).
Je m’arrête ici, parce que je suis consciente qu’il faudrait élaborer un texte plus appuyé pour étayer cette réflexion.
Mairesse, F., Rochelandet, F. (2015). Économie des arts et de la culture. Armand Colin.